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Aéroport de Winnipeg, Canada, 22 décembre
Qu’y a-t-il de pire que de se retrouver bloqué dans un aéroport à cause d’une tempête de neige ? La réponse est simple : se retrouver coincé dans les mêmes conditions en compagnie de Sawyer Lundblad, sergent de police bourru, grossier, et, accessoirement… mon époux. Ou bien, plutôt, dans l’ordre, mon mari, puis accessoirement flic grognon, sans filtre et oui… impoli. Si on est adepte de l’euphémisme.
— Bordel de merde ! Mais vous plaisantez ? Je fais quoi ? Je campe au milieu du hall ??? Je dis à mes filles qu’elles vont passer Noël sans leurs pères !?
— Je vous prie, Monsieur, de garder votre calme ou j’appelle la sécurité.
— Mais je suis calme, là ! Putain ! Vous voulez que je m’énerve réellement, pour voir ce que ça fait ?
Je ne me retiens de rire qu’à moitié, parce qu’à force de faire un esclandre à l’hôtesse qui nous fait face, vu que notre avion ne décollera apparemment pas aujourd’hui, Sawyer va véritablement finir par s’attirer des ennuis.
Malgré les ondes de colère qui émanent de son corps, et celles, sonores, qui sont à deux doigts de crever la moitié des tympans à un kilomètre à la ronde, je me rapproche de mon homme, puis attrape sa main dans la mienne, en douceur, pour intervenir avant que la situation ne tourne définitivement au vinaigre.
— Sawyer, arrête… dis-je tout bas. Tu vas nous faire virer de l’aérogare et je n’ai franchement pas envie de devoir passer la nuit dans le blizzard. Ou au poste.
Un grognement s’échappe de ses lèvres tandis qu’il me suit sans grande conviction.
Je sens, toutefois, qu’il a du mal à se contenir, mais il se laisse plus ou moins faire tandis que je nous éloigne avec prudence. Là où nous nous arrêtons, l’immense panneau qui indique que tous les vols sont retardés jusqu’à nouvel ordre est bien visible et Sawyer a toutes les peines du monde à ne pas le dévisager avec colère. On dirait presque qu’il brûle d’aller s’expliquer directement avec.
— Sawyer, regarde-moi.
Ma main sur sa joue, je l’invite à baisser la tête sur moi, et lorsque ses pupilles rencontrent enfin les miennes, son regard s’adoucit, malgré ses traits tirés et son teint tirant encore sur l’écarlate.
— Ce n’est la faute de personne, c’est un aléa de la météo. On va patienter tous les deux, ensemble, puis tu vas tempérer tes ardeurs et oublier tes pulsions d’homme des cavernes pour quelques heures, parce que si tu continues à hurler comme ça, tu vas finir par être arrêté, et j’ai envie de rentrer à la maison le plus vite possible, pas de perdre mon temps à te sortir des ennuis. Je te rappelle que tu fais, toi-même, partie des forces de l’ordre, ça ferait tache sur ton C.V.
— Je ne veux pas passer Noël sans Sophie et Olivia. Je nous veux tous les quatre, au chaud et en sécurité chez nous.
— On sera rentrés à temps, je te le promets. Et les filles ne sont pas toutes seules, quoi qu’il en soit. La tempête touche tout le pays, mais je sais qu’elles sont protégées là où elles sont. Au pire, si on rentre plus tard, on décrète, cette année, que Noël, ce n’est plus le 25 et puis c’est tout. Elles ont 6 ans, elles pourront comprendre si on leur explique que même le père Noël a été pris dans le blizzard.
Sawyer se penche légèrement pour déposer sur mes lèvres un baiser appuyé, possessif.
— Tu me casses les couilles à avoir toujours raison, mon cœur.
Il n’y a aucune animosité dans sa voix, seulement le constat d’un fait établi, et je me dis que j’ai au moins gagné cette bataille-là.
— Je sais. Et c’est pour ça que tu m’aimes.
— Ce n’est pas que pour ça, note bien.
— Tu me rassures, dis-je en caressant la peau douce, rasée de près, de son visage qui reprend peu à peu sa couleur normale.
— On doit prévenir ta sœur qu’on ne pourra pas récupérer les filles, marmonne-t-il, en relevant le nez vers le panneau d’affichage pour lui jeter un dernier regard vindicatif.
Le panneau ne semble pas s’en émouvoir outre mesure.
— Je vais m’en occuper.
Il ne me faut que quelques minutes pour avoir Vera au téléphone, lui expliquer que nous sommes coincés par la tempête et qu’elle va devoir encore garder nos jumelles, en attendant qu’un avion puisse décoller.
— Ne t’inquiète pas, Brock a vu aux informations que c’était l’enfer sur la moitié du continent. On vous garde les filles, sans problème. Au pire, si ça dure plusieurs jours, je demanderai à papa de m’aider.
— Je n’espère pas, soupiré-je, légèrement amer malgré tout en imaginant cette galère se prolonger. Sawyer va mettre le feu à l’aéroport dans peu de temps si on doit rester longtemps bloqués ici.
— Pourquoi ça ne m’étonne pas, s’amuse-t-elle.
Lorsque je raccroche avec ma sœur, je me rends compte que mon époux, qui se tenait à quelques pas de moi, a disparu. Mon regard fait le tour de l’aérogare, sans succès. Je reprends mon téléphone portable en main et l’appelle, mais il ne décroche pas. Il est peut-être allé aux toilettes. Je retourne près du banc sur lequel nous nous étions installés tandis que nous attendions notre vol et m’assieds.
Les minutes s’égrènent sans nouvelles de mon homme et ça commence à m’inquiéter. Je vérifie plusieurs fois mon téléphone, mais… rien.
Cependant, tout d’un coup, une voix résonne dans le hall de l’aéroport.
— Monsieur Herschel Richter Lundblad, Monsieur Herschel Richter Lundblad est prié de se rendre devant la porte 5. Je répète, monsieur Herschel Richter Lundblad est prié de se rendre devant la porte 5, merci.
Mon cœur s’accélère, parce qu’au fond de moi je sais déjà que Sawyer s’est attiré des ennuis. Je vais même jusqu’à imaginer mon flic impertinent et tête de mule tenter de forcer le passage à bord d’un avion pour nous permettre de rentrer.
Le pire, c’est qu’il en serait capable !
Je récupère notre seul bagage cabine et remonte à la hâte le hall pour m’engouffrer dans le couloir qui dessert les portes 3 à 5. À travers les immenses fenêtres, je peux me rendre compte à quel point le temps est apocalyptique. Le blizzard hurle inlassablement, réduisant la visibilité à son minimum. Les avions sont cloués au sol, incapables de décoller dans la tempête ambiante, et l’aéroport est entouré d’une immensité blanche, infinie, à laquelle le peu d’éclairage subsistant encore donne des reflets orange assez angoissants.
Lorsque j’arrive à la porte 5, il n’y a personne. J’ai beau regarder partout autour de moi, je ne vois ni hôtesse, ni agent, ni mon sergent préféré. Alors que je m’apprête à prendre mon portable pour appeler mon fantôme du moment, et lui passer la soufflante du siècle pour avoir disparu comme ça, un bras puissant ceinture ma taille, derrière moi, tandis qu’une autre main se pose sur ma bouche pour m’empêcher de crier de surprise. J’ai beau m’agiter pour tenter de me libérer, l’homme est beaucoup trop fort pour moi, mais le rire entendu qui résonne à mon oreille me détend instantanément.
Avec une vitesse et une agilité qui m’estomaqueront toujours, Sawyer me fait pivoter et je me retrouve la tête à l’envers, profitant sans véritablement le réaliser d’une vue idyllique sur des fesses moulées dans un jean que je connais par cœur, alors que mon corps se retrouve jeté négligemment en travers d’une des épaules de mon amant. Question dignité, on a connu mieux. Bonjour la honte.
— Sawyer ! Mais t’es dingue !
— Tu te tais. Plus un mot, m’ordonne-t-il.
Je n’essaie même pas de riposter quoi que ce soit. Quand il joue les mâles alpha avec moi, il peut tout me faire faire. À ma plus grande surprise, il franchit les portes qui mènent au sas d’accès d’un avion de ligne.
— Sawyer ! m’insurgé-je en tentant de lui échapper, tu…
— Herschel, je suis déjà assez excité comme ça, alors si tu remues trop, je vais exploser avant la meilleure partie.
Ah oui, c’est vrai, que cet espèce de grand dadais aime encore plus quand je me rebelle ! Et moi, je me retrouve à mon tour passablement titillé par la perspective de plus en plus probable de passer les prochaines minutes en compagnie d’un Sawyer déchaîné et prêt à me faire jouir jusqu’à ce que je demande grâce.
Plutôt agréable de tuer le temps avec du sexe. Sauf que…
Mes pensées se retrouvent vite en état d’alerte maximale quand nous nous retrouvons à monter dans un appareil… vide.
Il me pose enfin à terre et oui, je réalise que nous sommes réellement dans un avion, un vrai.
— On n’a pas le droit d’être ici !
J’ai beau regarder autour de moi, il n’y a personne, la cabine est vide, nous sommes toujours accrochés au sas d’embarquement. Les moteurs ne semblent même pas allumés, aucune lumière ne brille en bout d’aile et la carlingue est sacrément secouée par le vent déchaîné, dehors.
— Saw…
— L’avion est à nous pour un quart d’heure, s’amuse mon compagnon en commençant à déboutonner sa ceinture…
— Comment…
Mais il me fait taire par un baiser absolument pas tendre, dévorant, et indéniablement… pressé.
— J’ai sorti mon insigne à un mec de la maintenance pour qu’il m’ouvre l’accès, m’explique-t-il alors qu’il tente de m’enlever mon manteau. Affaire urgente pour la GRC. Je suis assez fier de moi, sur ce coup-là. Putain, il m’a même fait l’annonce sur les haut-parleurs.
— Hein !?
— Toi et moi, mon cœur, on va enfin faire partie du Mile High Club. Mais on a intérêt à faire vite.
Je suis tellement abasourdi par ce qu’il a fait que je le laisse me tripoter et, oui… commencer à me déshabiller.
— Il faut être à 10.000 m d’altitude pour ça, Sawyer.
— On s’en fout, on est coincé au sol, et avec le temps qu’il fait, ça secoue comme si on volait, non ? Alors du moment qu’on s’envoie en l’air et qu’on est dans un avion, en ce qui me concerne...
Je n’ai pas le temps de réagir davantage que Sawyer me fait littéralement et très rapidement perdre la tête. Il me fait l’amour avec une sauvagerie experte, dans un appareil vide mais soumis à d’autres assauts d’une violence comparable et, tandis qu’un orgasme dément me projette au septième ciel, je me dis que je suis l’homme le plus chanceux au monde ; après huit années de vie commune, un mariage et deux enfants, cet homme est encore capable de me surprendre de la plus belle des manières. Tout compte fait, Noël attendra, et ce n’est pas si mal.
Fin.
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